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Une récente décision du Comité européen des droits sociaux remet en cause le système de secours français en estimant que l’Etat ne respecte pas les directives en matière de temps de travail et de rémunération des pompiers volontaires. Le gouvernement, lui, n’entend pas toucher à leur statut.
C’est un modèle unique en Europe. Avec près de 200.000 citoyens engagés, la sécurité civile en France repose très largement sur les épaules des pompiers volontaires. Les chiffres sont éloquents: ces soldats du feu au statut particulier composent aujourd’hui plus de 78% des rangs de la profession et assurent deux tiers des interventions.
Mais ce système tend peu à peu à être remis en cause. Il faut dire que le contexte n’est pas vraiment favorable: alors que les effectifs des pompiers régressent année après année, le nombre d’interventions, lui, augmente. Résultat: les volontaires sont sursollicités dans certains départements. Et ce d’autant plus facilement qu’ils ne sont pas considérés comme « travailleurs ». Une anomalie pour le syndicat SUD SDIS qui réclame davantage de protection pour limiter les abus et le risque d’accidents:
« Le statut de pompier volontaire n’est soumis à aucune règle. Ils perçoivent une indemnisation de 8 à 10 euros de l’heure, selon les grades, mais ils ne cotisent pas pour la retraite », déplore auprès de BFM Business Manuel Coullet, secrétaire général du syndicat Sud Sdis.
Surtout, « il n’y a pas de règles en matière de temps de travail hebdomadaire, et donc aucune protection en matière de santé et de sécurité », poursuit celui qui réclame un cadre plus clair, notamment pour « certaines activités ». De fait, la problématique n’est pas tout à fait la même entre ceux qui multiplieraient les « gardes postées », à la caserne donc, et ceux qui ne feraient que de la disponibilité ou de l’astreinte (57% des volontaires).
« L’État français viole les directives européennes »
En 2019, SUD Sdis a porté réclamation auprès du Comité européen des droits sociaux, qui lui a donné raison dans une décision rendue il y a quelques mois: « Le Comité européen des droits sociaux a répondu que oui, les pompiers volontaires devraient être considérés comme des travailleurs » et que « l’État français viole les directives européennes sur le temps de travail, la rémunération et le travail des mineurs », affirme Manuel Coullet.
Dans sa décision, le Comité reconnaît effectivement que la France viole la Charte sociale européenne sur plusieurs points. Il explique d’abord que les pompiers volontaires « devraient être considérés comme des travailleurs jouissant du droit de gagner leur vie par un travail librement entrepris (…) » et qualifie de « discriminatoire » la différence de traitement avec les pompiers professionnels.
L’institution estime de surcroît qu’il y a violation de la charte « en raison de la non prise en compte de la totalité du temps de travail effectué par les sapeurs-pompiers volontaires » et plus largement du « vide réglementaire » sur le temps de travail. Enfin, si les mineurs peuvent s’engager en tant que volontaire à partir de 16 ans, le comité déplore que plusieurs « exemples montrent que les sapeurs-pompiers volontaires mineurs sont également soumis à un nombre d’heures de travail excessif ».
Plus de 1.000 heures de volontariat pour un pompier sur 10
Dans un rapport rendu public en décembre dernier, l’Inspection générale de l’administration (IGA) s’est penchée sur le sujet du temps de travail des sapeurs-pompiers volontaires. Il en ressort que sur les 83.000 volontaires qui effectuent des gardes postées, près d’un quart (24%) réalise cette mission plus de 600 heures par an, ce qui équivaut à au moins 37% de la durée de travail à temps plein sur une année (1.607 heures). Près d’un volontaire en garde postée sur 10 (9%) consacre même plus de 1.000 heures par an au volontariat.
Pour certains, le volontariat assure un complément de rémunération parfois indispensable pour arrondir les fins de mois. A tel point que des volontaires, contraints de cesser leur engagement pour diverses raisons (âge, accident de la vie…), ont parfois « dû contracter des crédits » afin de joindre les deux bouts, car « il n’y a pas d’indemnité chômage », rappelle Manuel Coullet.
Le secrétaire général de SUD Sdis alerte surtout les risques que fait porter la sursollicitation des pompiers volontaires au quotidien en l’absence de cadre réglementaire: « On prend souvent l’exemple du chauffeur de bus qui peut prendre une garde la nuit et conduire les enfants à l’école le matin. On peut douter de son niveau de vigilance ».
Les entreprises ont un rôle à jouer
Le débat sur le statut des pompiers volontaires est loin de faire l’unanimité au sein de la profession. Ceux qui s’y opposent redoutent que leur reconnaissance en tant que « travailleurs » ne conduise à l’effondrement du système de secours français: « Heureusement qu’on ne les reconnaît pas comme travailleurs. Parce qu’effectivement, un sapeur-pompier volontaire, c’est comme toute autre personne qui se tourne vers l’extérieur, vers la société. C’est quelqu’un d’altruiste qui s’engage au profit de son territoire, des concitoyens, mais qui a également une activité professionnelle principale, une vie de famille (…) », expliquait sur RMC Eric Brocardi, porte-parole de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers.
S’il s’oppose à la décision du Comité européen des droits sociaux, il estime que le statut de pompier volontaire « doit évoluer d’une certaine manière, en termes de protection » avec « ce qu’on appelle un statut de citoyen engagé ». Il appelle aussi les entreprises à « adopter impérativement une politique RSE (responsabilité sociétale des entreprises, NDLR) autour de la protection civile », en laissant davantage de temps à leurs salariés pour s’engager en tant que pompier volontaire, notamment via la semaine de quatre jours « qui permettrait de donner du temps aux gens pour s’ouvrir à la société et d’être engagé un peu plus (…) ».
De son côté, Manuel Coullet assure que l’application de la décision du Comité européen des droits sociaux « ne remettrait pas en cause le système de sécurité civile en France ». « Il ne s’agit pas de professionnaliser complètement le statut de pompier volontaire. On est tout à fait attaché à ce que cette complémentarité perdure », ajoute le syndicaliste.
Plusieurs décisions de justice
Aligner les droits des pompiers volontaires sur ceux des professionnels soulève une autre inquiétude: le coût. Mais « contrairement à ce que certains laissent penser, ça ne coûterait pas des milliards, plutôt des millions », affirme Manuel Coullet. Quand bien même, « la santé (des pompiers volontaires) n’a pas de prix ». Le Comité rappelle lui même que « les objectifs de la charte en tant qu’instrument de protection des droits sociaux ne peuvent être subordonnés à des considérations purement économiques ».
Reste que la décision du Comité n’est pas contraignante juridiquement. Mais elle s’ajoute à une série de décisions de justice en France comme à l’étranger qui ont plusieurs fois remis en cause les pratiques actuelles. Comme lorsque le tribunal administratif de Strasbourg a estimé en 2017 que les indemnités des sapeurs-pompiers volontaires « constituent une forme de rémunération ». Ou lorsque la Cour de Justice de l’UE affirmait un an plus tard qu’un pompier volontaire pouvait être considéré comme un travailleur et qu’une astreinte, même de seulement 8 minutes, restreignait « très significativement les possibilités d’avoir d’autres activités » et devait dès lors être également « considérée comme temps de travail ».
L’Inspection générale de l’administration juge toutefois qu’il est possible de mettre le système de secours français « à l’abri » de la directive européenne sur le temps de travail. Mais cela passera par « des précisions sur les règles de repos des volontaires », sur des dispositions « portant sur la sécurité » ou encore par un soutien au « recrutement de volontaires » tout en complétant « lorsque c’est nécessaire, les effectifs professionnels ». « La sauvegarde du modèle français est sans doute à ce prix », conclut l’IGA.
« Nous n’appliquerons pas la directive du temps de travail »
Interrogé il y a quelques jours sur ce sujet, Gérald Darmanin a reconnu que le temps de travail posait « des questions dans les SDIS (Service départemental d’incendie et de secours) et notamment par manque de financement d’une partie de ces SDIS ».
Le ministre de l’Intérieur a néanmoins assuré que la France avait obtenu en 2018 une lettre de « couverture de la Commission » européenne qui « garantit le statut, certes original mais auquel nous sommes très attachés, du volontariat dans la sécurité civile ». « Nous n’appliquerons pas la directive du temps de travail qui ne concerne pas les sapeurs-pompiers volontaires. (…) Il n’y aura pas de touche au statut des pompiers volontaires tant que je serai ministre », a tranché Gérald Darmanin.
SUD Sdis espère malgré tout obtenir des avancées et estime que le ministre de l’Intérieur, après les différentes décisions de justice, devra faire des annonces concernant les sapeurs-pompiers volontaires à l’occasion du Beauveau de la Sécurité civile qui s’ouvrira le 6 avril.
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