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Un président ne devrait peut-être pas dire ça… Au début de son premier mandat, Sébastien Bazin l’avait assuré : un PDG n’a pas vocation à rester plus d’une décennie en poste. Le voilà pourtant à l’entame de sa onzième année à la tête d’Accor, dont il a pris les rênes le 27 août 2013, après en avoir été l’un des principaux actionnaires.
« Je me souviens très bien avoir prononcé cette phrase, et je le crois toujours, évacue l’intéressé. En général, après dix ans, on ne se renouvelle plus. Mais le conseil d’administration me l’a demandé, le groupe entame sa quatrième transformation en huit ans, je dois être responsable et en assumer les bons et mauvais côtés. »
Cette transformation, c’est le « projet Turbo », qui doit simplifier l’organisation du groupe en l’articulant autour de deux divisions. D’un côté, les marques économiques, milieu de gamme et premium (Ibis, Mercure, Pullman, entre autres). De l’autre, le luxe (Raffles et Orient Express, Sofitel, Mgallery et Fairmont) et le « lifestyle » (Mama Shelter, The Hoxton…).
Vente des murs et montée en gamme
En pleine crise sanitaire, le dirigeant avait déjà lancé le « projet Reset », pour rendre Accor « plus agile » et réaliser des économies. Mais aussi le projet « Booster », en 2018, actant le transfert des murs des hôtels – et d’une grande partie du personnel – vers la foncière Accorinvest, dont le groupe possède toujours 30 %. Trois ans plus tôt, Accor avait remis à plat son organisation interne, préfigurant cette transformation vers le modèle « asset light ».
Au cours de la décennie écoulée, Sébastien Bazin a multiplié les initiatives, plus ou moins heureuses. De l’avis de tous, la vente des murs, commencée avant la crise, a été salutaire. « Ça a bouleversé l’entreprise, mais si on ne l’avait pas fait, peut-être qu’on serait mort à l’heure actuelle », reconnaît un délégué syndical.
Pour beaucoup, le virage vers le luxe apparaît également comme un excellent choix. « Le lifestyle, c’était malin d’y aller rapidement, de manière agressive. Et la montée en gamme, c’est ce qui manquait clairement chez Accor », résume un observateur.
A l’heure du bilan, Sébastien Bazin préfère évoquer « un changement majeur qui est l’empreinte géographique du groupe, avec une culture internationale. Jusqu’alors, il n’était dirigé que par des Français, aujourd’hui, 65 % des équipes sont des étrangers, contre 15 % en 2013 ». Et si Accor n’est que le sixième groupe hôtelier mondial, il s’est affirmé comme un solide leader sur l’ensemble des continents, hors Etats-Unis et Chine.
« Rouleau compresseur »
Pour parvenir à ses fins, le dirigeant a parfois dû trancher dans le vif. Peu après sa prise de fonction, plusieurs cadres historiques ont été priés de faire leurs valises. « On ne peut pas transformer un groupe avec des gens qui vous mettent des couteaux dans le dos dès le début », justifie l’intéressé.
Je ne connaissais pas l’entreprise de l’intérieur, c’était un peu ‘yakafokon’. Mon prisme s’est complètement inversé.
Sébastien Bazin
Les transformations successives ont également provoqué des dégâts en interne. Dans le camp syndical, on évoque un « rouleau compresseur » ou des « rapports sociaux durs ». Le fait d’avoir imposé des réunions en anglais ne fait pas l’unanimité. « Au siège, 60 % des collaborateurs ne sont pas prêts à le faire », peste un salarié, qui loue en revanche la franchise et la clarté du dirigeant.
Certains choix stratégiques ont également été remis en cause, en particulier à l’extérieur du groupe. Si Accor a frappé un grand coup avec le rachat du canadien FRHI (propriétaire de Fairmont, Raffles et Swissotel) en 2015, « cela s’est fait avec une dilution de 20 % », grince un analyste, qui pointe en outre « des montants dépensés en pure perte. Dans le digital, c’est environ 700 millions d’euros qui auraient pu revenir aux actionnaires. »
Virage à 180 degrés
Une réflexion qu’aurait peut-être approuvée Sébastien Bazin il y a quinze ans. Alors à la tête de la branche Europe du fonds Colony Capital, et à ce titre actionnaire d’Accor, ce redoutable investisseur avait la réputation de faire la pluie et le beau temps au sein du groupe hôtelier, en compagnie d’ Eurazeo.
« Il fait ce qu’il critiquait. A l’époque, on avait le projet de racheter Fairmont, et Colony ne l’a pas aidé du tout, se rappelle un ancien dirigeant. Selon eux, Accor n’était pas fait pour le haut de gamme. Et sous leur impulsion, on s’est séparé de tout ce qui s’éloignait du coeur du business. » L’exemple le plus retentissant restera la mise en Bourse d’Accor Services en 2010, qui sortira du giron d’Accor pour devenir Edenred.
Avec le recul, Sébastien Bazin préfère en sourire. « Je ne suis plus le même. Chez Colony, j’étais plus jeune et je ne connaissais pas l’entreprise de l’intérieur, c’était un peu ‘yakafokon’. Mon prisme s’est complètement inversé », reconnaît-il.
L’épisode Air France, une « erreur de jugement »
Débarrassé de ses habits de financier, le dirigeant met alors ses qualités au service de sa nouvelle fonction. « C’est un visionnaire qui se repose toujours la question du business model. Il est capable d’embarquer les foules, de faire en sorte que les gens adhèrent à sa vision. J’ai travaillé avec des polytechniciens parmi les plus brillants, mais eux ne savaient pas faire ça », souligne Jean-Jacques Morin, directeur général adjoint d’Accor. « Il n’a pas de religion, se remet toujours en question. C’est un intuitif, un homme de coups », abonde Cédric Gobilliard, qui dirige la branche Europe d’Ennismore, la filiale dédiée à l’hôtellerie lifestyle.
Mais les « coups » ne sont pas forcément tous gagnants. En 2018, Accor convoite les parts que détient l’Etat dans Air France, avec l’idée de mixer les fichiers clients des deux entités. L’opération ne se fait pas, mais le marché réagit au quart de tour, et Accor perd environ 1,5 milliard d’euros de capitalisation boursière.
« Air France, c’est vraiment ce qui l’a détruit auprès des investisseurs. Si l’on exclut la crise sanitaire, qui n’était pas prévisible, l’aérien, ça ne gagne de l’argent que 20 % du temps », pointe un expert du secteur.
Sébastien Bazin, de son côté, reconnaît « une erreur de jugement dans la capacité d’analyse du monde extérieur. Les deux programmes de fidélité ensemble, cela aurait été une pure merveille. Est-ce que cela nécessitait un accord capitalistique ? Probablement pas », soupire-t-il.
Le vent dans le dos
De fait, les dix premières années de mandat du dirigeant auront été marquées par une défiance tenace de la part des marchés financiers. Outre l’épisode Air France, les reproches se concentrent sur la stratégie du groupe, jugée illisible par certains. « C’est assez compliqué d’expliquer qu’on change d’organisation tous les deux ans, il n’y a pas un groupe au monde qui peut justifier ça », résume un analyste.
En dix ans, le cours de l’action Accor a ainsi connu une hausse de 15 %, bien plus faible que ses principaux concurrents comme Hyatt (+160 %), Hilton (+130 %) ou Marriott (+390 %). « Ils [les analystes, NDLR] sont comme moi avant, ils ne voient pas ce qu’il se passe à l’intérieur. Nous nous sommes peut-être trompés, mais en tout cas je n’ai jamais géré Accor en fonction du cours de Bourse », tranche Sébastien Bazin.
Malgré tout, le conseil d’administration du groupe hôtelier lui a toujours massivement renouvelé sa confiance. Certains de ses détracteurs s’interrogent sur cette mansuétude, pointant le rôle d’un proche, Nicolas Sarkozy, membre du conseil d’administration du groupe. Lui, met en avant la transparence dont il a toujours fait preuve envers ses actionnaires, assurant « n’avoir besoin de personne » pour les convaincre.
Reste un constat : Accor a aujourd’hui le vent dans le dos, avec des prévisions financières au beau fixe et des ambitions revues à la hausse. En 2022, sa marge d’exploitation a atteint 10,6 %, contre 9,7 % en 2013. Le mandat de Sébastien Bazin, lui, court désormais jusqu’en 2026. Le temps, peut-être, de recueillir encore davantage les fruits de ses intuitions.
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