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Publié le 12 janv. 2024 à 17:38Mis à jour le 12 janv. 2024 à 17:52
Daniel Ziblatt, politologue, enseigne à Harvard. Il vient de publier « The Tyranny of the Minority » (Penguin, 2023), avec Stephen Levitsky. Leur ouvrage précédent a été traduit en français ( « La mort des démocraties », Calmann-Lévy, 2019).
Joe Biden et Donald Trump ont-ils déjà écrasé la concurrence pour les primaires ?
Concernant Biden, il n’est pas inhabituel que le président sortant ne soit pas vraiment concurrencé dans son camp. Mais pour le caucus de l’Iowa, Donald Trump dispose d’une avance dans les sondages qui n’a pas de précédent, pour aucun candidat à la présidentielle. Cela montre que le Parti républicain, qui avait brièvement semblé abandonner Trump après l’assaut sur le Capitole en janvier 2021 , est vraiment devenu le parti de Trump.
Qu’est-ce qui rend Donald Trump si indestructible ?
Je ne dirais pas qu’il est indestructible. Il n’a jamais gagné le vote populaire pour la présidence. Il est bien sûr très populaire, mais cela ne veut pas dire que la majorité des Américains le soutiennent. La vraie question est plutôt comment il a pu dominer à ce point le Parti républicain. C’est en grande partie parce que ce parti est une coquille vide. Ce n’est pas comme le SPD ou la CDU allemande, des organisations structurées où il faut servir longtemps pour émerger. Du coup, c’est facile pour les outsiders de prendre le contrôle du parti. Donald Trump l’a fait en 2016 . Il s’est constitué une base loyale. Alors qu’il fait à peine 50 % des votes républicains, il a été capable de grimper rapidement et de se maintenir, parce que le parti est faible et fracturé.
Il est paradoxal qu’un aussi grand parti, pilier du système politique américain, soit si faible…
Le système politique américain favorise l’existence de deux partis géants, qui représentent 300 millions de personnes sur un territoire aussi vaste que l’Union européenne. Pour que ce système fonctionne bien, il faut absolument que ces deux partis soient hétérogènes et qu’ils reflètent les différences dans notre société. Le parti démocrate est encore comme ça. Le sénateur démocrate du Montana est très différent de la députée Alexandria Ocasio-Cortez à New York.

Daniel Ziblatt, professeur de sciences politiques à Harvard.Janine Schmitz/Photothek/dpa Picture-Alliance via AFP
Mais le Parti républicain, de façon frappante, ne représente pas une majorité d’Américains et est devenu plus homogène. S’il continue à avoir du succès dans les élections nationales, c’est moins grâce à son attrait naturel qu’à cause de nos institutions politiques – le système présidentiel, les grands électeurs, le Sénat. Les 35 % d’Américains qui forment le coeur de l’électorat de Trump ne sont pas différents des 22 % d’Allemands qui votent pour l’AFD [qui n’a jamais pris le pouvoir en Allemagne, NDLR].
Pourquoi le Parti républicain a-t-il perdu en diversité ?
Cela a commencé dans les années 1960 avec le mouvement des droits civiques. Les démocrates du Sud blancs qui étaient très conservateurs ont trouvé refuge chez les républicains, dans ce qui est devenu le havre des conservateurs raciaux. Le Parti démocrate a fédéré les Africains-Américains, les immigrants, les gens éduqués, les urbains – une formation multiraciale, hétérogène, et vaste. Après l’élection d’Obama, des leaders républicains ont essayé de sortir du piège de cette base qui rétrécit, mais ils n’ont pas réussi.
Les sondages récents montrent pourtant un effritement des intentions de vote démocrates chez les Afro-Américains…
Je pense que cela reste marginal, mais il y a des indices que cette polarisation raciale se fissure. Ce serait une bonne chose. Pour avoir une démocratie stable aux Etats-Unis, nous avons besoin de deux partis politiques qui peuvent gagner des majorités d’électeurs, et cela suppose une diversité raciale. Cela permettrait que ces partis s’affrontent sur l’immigration, les impôts, le changement climatique, plutôt que sur la démocratie.
En quoi un duel Biden-Trump serait-il différent de celui de 2020 ?
Il y a plusieurs éléments nouveaux. Un plus grand nombre d’Américains ont compris que Donald Trump était une menace pour la démocratie et qu’il n’accepterait probablement pas le résultat s’il perdait. De plus, s’il était réélu, il n’y aurait plus les leaders républicains de l’establishment pour le cadrer, ce qui est inquiétant.
Côté démocrate, Biden gère une grande coalition très diverse d’électeurs qui ne veulent pas de Trump – un peu comme Macron avec Le Pen. C’est un équilibre très précaire pour diriger une démocratie, surtout avec la guerre entre Israël et le Hamas qui exacerbe les divisions.
Est-ce que cela pourrait ouvrir la voie à un candidat indépendant, comme on l’a vu en Europe où plusieurs partis traditionnels ont implosé ?
Comme il n’y a pas de proportionnelle dans le système électoral aux Etats-Unis, c’est impossible pour un candidat tiers de remporter l’élection présidentielle. Mais il peut changer la dynamique politique. Bill Clinton ne serait pas devenu président si Ross Perot n’avait pas concouru en indépendant. Theodore Roosevelt s’est présenté en candidat tiers en 1912 ; il a transformé la politique américaine, mais il n’a pas été réélu.
Joe Biden a-t-il eu tort de briguer la réélection alors qu’il est impopulaire et âgé ?
Je ne sais pas. Sa présidence a été très réussie, l’économie américaine fait mieux que toutes les autres économies avancées. C’était prévisible qu’il se représente. Il a à peu près 50 % de chances. Bien sûr, on peut toujours imaginer des candidats jeunes et attractifs. Mais ils ne sont pas testés. Et Biden a des atouts que d’autres n’ont pas.
Dans la primaire de 2019-2020, le coeur de sa base était afro-américain. Il a battu des leaders talentueux comme Pete Buttigieg, Liz Warren, Bernie Sanders et Kamala Harris. Il a aussi des racines dans la classe ouvrière blanche, et est capable de maintenir une coalition soudée. C’est vrai qu’il est plus vieux et plus lent qu’avant. Il faut que l’effort soit collectif. Il devrait se reposer plus sur des gouverneurs démocrates très populaires comme Gretchen Whitmer dans le Michigan et Josh Shapiro en Pennsylvanie.
Dans votre dernier livre, vous expliquez qu’il faut réformer la constitution américaine pour sauver la démocratie : un sacrilège ?
Vous savez, les pères fondateurs eux-mêmes ne considéraient pas la Constitution comme un texte sacré. George Washington et Thomas Jefferson ont été clairs. Il y a une longue tradition de réformes pour rendre cette constitution plus démocratique, des droits civiques à l’élection directe des sénateurs. Mais les Etats-Unis sont en retard sur les autres démocraties, car il y est très difficile de réformer la constitution, et nous ne l’avons pas fait depuis les années 1970.
Nous sommes le seul pays du monde qui choisit encore son président via des grands électeurs. La France, l’Argentine, le Brésil se sont débarrassés des leurs. C’est le seul système dans lequel on peut perdre le vote populaire et devenir président.
Vous parlez aussi de la Cour suprême…
Toutes les propositions de réforme que nous formulons avec Steven Levitsky visent à renforcer le pouvoir majoritaire. Les Etats-Unis sont la seule démocratie avancée qui n’a ni limites de durée de mandat ni limite d’âge pour ses juges nationaux. Or un juge nommé par une génération antérieure crée une restriction intergénérationnelle du pouvoir majoritaire. De plus, le processus de nomination des juges est très politisé, avec à chaque fois un cirque au Sénat pour retarder le processus jusqu’au prochain président. Nous proposons un mandat de 18 ans, comme ça chaque président pourrait choisir deux juges pendant ses quatre ans. Cela réduirait drastiquement les enjeux politiques.
La démocratie américaine vous paraît-elle cassée ?
Il y a eu une glissade significative entre 2016 et 2021. Mais il y a beaucoup de résilience. Si la démocratie américaine est si forte, c’est parce que par le passé, des gens se sont battus pour la renforcer. Elle n’est pas près de mourir. Nous avons juste besoin de renouer avec cette tradition.
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