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Les récentes révoltes suivant la mort de Nahel ont à nouveau mis un coup de projecteur médiatique sur les quartiers sensibles de France. Tentant de les comprendre pour certains, les moralisant pour d’autres, les médias français de tout bord se sont livrés à des commentaires et analyses bien souvent sans le recul suffisant, peinant même à donner la paroles aux principaux intéressés.
Depuis combien de temps estimez-vous que le dialogue entre les médias et les quartiers les plus sensibles est-il rompu ?
Dès les années 80, les relations entre les médias et les quartiers populaires se tendent. Plusieurs émeutes ont lieux aux Minguettes, un quartier de Vénissieux, puis à Villeurbanne et Vaulx-en-Velin. Lors de celles-ci, la couverture médiatique est caricaturale. De là nait un désaveu du travail des médias. Certains journaux vont même jusqu’à mettre en scène des voitures brulées pour jouer la carte du spectaculaire et du sensationnalisme. Dans les années 90, des révoltes sociales ont lieux à plusieurs mois d’intervalles en France, et les médias multiplient des comparaisons avec la situation des quartiers noirs américains en désignant les quartiers populaires français par des noms supposés mieux les identifier au contexte étasunien, tel quartier est appelé « Chicago », tel autre le « Bronx ». Le dialogue entre les quartiers et les médias s’est donc altéré depuis au moins 40 ans.
Quelles sont les responsabilités des journalistes dans cette relation conflictuelle ?
De manière générale, les médias populaires ont toujours livré un discours dépréciatif sur ces quartiers. Ils ont longtemps utilisé un vocabulaire folklorique, tribal pour narrer la vie des habitants des quartiers populaires. Ils n’ont aussi pas hésité à faire des arrangements avec la vérité relayant parfois des versions des faits que la réalité contredisait pourtant. Même les médias de gauche dont on imagine aujourd’hui qu’ils feraient un travail d’informations plus rigoureux, ont relayé les versions de la police sans les contredire et les habitants des quartiers défavorisés ont vécu ce traitement de l’information comme déloyal. Ils ont développé une forme de rejet.
Au-delà de ça, les médias ont dans les années 80 usé d’une forme d’ethnicisation des quartiers menant à leur ostracisation observés seulement comme des lieux « anti France » et de radicalisation islamique. Les médias n’ont traité les cités que quasi exclusivement comme des territoires à problème, rarement pour autre chose et encore moins pour donner la parole à ses locataires par exemple. Je constate aussi que les journalistes vont bien trop souvent dans les quartiers comme sur le théâtre d’une opération, ne cherchent pas à créer le contact avec ces lieux de vie et se content bien souvent une fois sur les plateaux télévisés de commenter les faits présumés sans apporter d’informations venues du terrain.
Existe-t-ils selon vous, un moyen de renouer le dialogue ?
Oui, mais c’est un travail qui ne peut pas se faire sur le très court terme et les modalités de fonctionnement de certains médias d’information en continu sont jugées trop puissantes pour y parvenir. Cela demande une approche avec modestie, dans laquelle le journaliste, qui évolue dans une classe plus aisée doit comprendre les réactions parfois virulentes de ces populations à son égard. Il doit prendre le temps de rencontrer, de nouer des relations de confiance. Les quartiers populaires n’attendent plus rien des médias et ce n’est pas parce qu’ils pensent que les journalistes sont complices du pouvoir des autorités, c’est parce qu’ils considèrent que les journalistes déforment leur réalité. Certes des médias comme Bondy Blog existent et quelques médias de gauche et c’est heureux, mais ils préfèrent rendre compte de leurs propres points de vue à travers les réseaux sociaux. Le dialogue médias populaires et nationaux passera d’abord par la fin des clichés sur les « banlieues », la fin des fantasmes nourris par l’entre soi d’une presse qui va dans ces lieux comme en territoires inconnues. Or, les banlieues populaires constituent eux aussi la nation française. L’oublier, c’est participer à l’entreprise d’inégalités de traitement de toutes sortes que leurs habitants subissent : politique, social, médiatique.
Les quartiers populaires sont-ils les seuls à s’être éloignés des médias ?
Cette défiance vis-à-vis des médias n’est évidemment pas propre aux populations des quartiers populaires. Souvenez-vous de la révolte des Gilets jaunes qui eux aussi ont éprouvé une même prudence vis-à-vis de la presse et de son traitement jugé insincère de leurs protestations sociales. Je tiens pour autant à dire que les journalistes ne sont pas les seuls identifiés négativement dans les banlieues populaires. D’une manière générale, on note une défiance à l’égard de tous celles et toutes ceux qui ne sont pas de la cité. Cette méfiance habitante, moindre cependant, s’observe aussi à l’égard des chercheurs. Il règne globalement une sorte de soupçon généralisé parmi les locataires des grands ensembles vis-à-vis de tous ceux ne sont pas de leur univers social. Cela s’explique, l’a vu, sans que cela signifie pour autant qu’ils revendiquent une existence sociale communautarisée. Isolées dans des territoires oubliés, plus que perdus, par la République, ces minorisées se serrent les coudes et font front contre toutes les adversités, les journalistes faisant partie, aux yeux de beaucoup, de ce camp-là.
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