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Publié le 26 nov. 2023 à 9:30
Tous les pays consomment du sucre au quotidien mais seulement la moitié d’entre eux en produisent, ce qui en fait une arme stratégique. Son poids est considérable dans les échanges mondiaux, où l’Europe voit son rôle diminuer à force de « décisions incohérentes ». Entretien avec Sébastien Abis, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques, qui a cosigné un ouvrage sur la géopolitique du sucre avec Thierry Pouch, économiste des chambres d’agriculture.
En quoi le sucre a-t-il une dimension géostratégique ?
Le monde entier consomme du sucre au quotidien mais seulement la moitié des pays en produisent. Ce qui explique qu’il fasse l’objet d’un commerce extrêmement important et très internationalisé. Les échanges portent sur 40 % de la production mondiale, alors que pour le blé c’est 25 %, pour le riz et le maïs 10 %. Le sucre a une dimension géopolitique, comme beaucoup de productions agricoles, y compris celles qui sont le plus banalisées.
Et il est important de mesurer à quel point il est au centre d’équilibres très fragiles car il dépend d’un nombre finalement limité d’acteurs. Le Brésil domine très largement le marché mondial et il fait la pluie et le beau temps compte tenu du poids de sa production et de sa contribution aux échanges. Il a détrôné l’Inde, longtemps leader de la canne, en quintuplant ses surfaces en soixante ans.

Sébastien Abis est chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques.SIPA/WITT
Quel est le poids du Brésil aujourd’hui ?
Le Brésil est de très loin le numéro un mondial avec 40 % de la canne et 20 % de la production de sucre. L’accélération de la culture de la canne au Brésil répond, via la production d’éthanol, à une politique énergétique très précise. Une petite moitié du parc automobile est équipée de moteurs flexfuel acceptant aussi bien l’éthanol produit à partir du sucre que l’essence. Le Brésil et les Etats-Unis produisent à eux seuls les trois quarts de l’éthanol mondial. La prochaine étape au Brésil, ce sera les hybrides éthanol/électrique. Reste à savoir si ce pays va pouvoir continuer à déforester l’Amazonie comme il le fait pour étendre ses cultures, contre l’avis du reste de la planète.
Peut-on parler de match entre le Brésil et l’Inde ?
L’Inde se différencie du Brésil, très exportateur, par l’immense consommation domestique. Avec 30 millions de tonnes, c’est de loin le premier consommateur au monde. Et selon les récoltes, elle exporte ou elle importe. C’est le pays qui offre les perspectives de croissance parmi les plus fortes en termes de consommation pour les prochaines années mais aussi pour ce qui est de l’utilisation de la canne à des fins énergétiques.
Bien que l’éthanol soit marginal dans les carburants en Inde, sa production est encouragée par les pouvoirs publics pour tenter de réduire la dépendance énergétique. L’objectif est de passer de 9 % de taux d’incorporation à 20 % entre 2025 et 2030. Le Brésil comme l’Inde ont accéléré leur développement dans la canne pour leur mix énergétique et pour se mettre dans les clous de l’accord de Paris .
Vous pointez dans votre livre l’importance du Moyen-Orient dans le commerce mondial du sucre. Ce n’est pas une région productrice…
Le cas des Emirats est tout à fait intéressant. Ils importent et exportent mais ne produisent pas. En revanche, ils ont une grosse activité de raffinage et revendent dans le monde entier avec la volonté évidente de peser sur certaines filières alimentaires mondiales et de jouer un rôle de hub financier et logistique. Ils sont d’ailleurs regardés comme un acteur très solide de l’alimentation car ils peuvent acheter cher des productions agricoles. Le groupe Al Khaleej Sugar, après trente ans d’opérations centrées sur les Emirats à partir de canne importée du Brésil, s’est lancé dans un ambitieux déploiement international vers l’Afrique du Nord.
L’Union européenne semble avoir le pied sur le frein sur le sucre comme sur le développement de l’agriculture. Au travers du plan vert et de l’interdiction des néonicotinoïdes…
Il y a, en Europe et en France, une contradiction frappante entre la volonté politique affichée de reconquête de la souveraineté alimentaire et les décisions qui sont prises. Le sucre incarne les contradictions politiques françaises et européennes. Au moment où on voit monter le risque sanitaire, l’UE interdit les néonicotinoïdes, le traitement chimique de la jaunisse désarmant du même coup les outils de protection des cultures. La France se montre plus sévère que l’Allemagne sur ce point. Cela ne facilite pas le maintien des volumes.
Les incohérences sont multiples. On les voit aussi dans la décision qu’elle a prise d’annuler les droits d’entrée sur les produits agricoles ukrainiens . Ce ne sont pas seulement des tonnes de poulets qui déferlent sans taxe sur le marché européen. C’est aussi du sucre ukrainien, qui vient directement concurrencer la betterave européenne.
On n’utilise la betterave que pour 10 à 15 % à des fins alimentaires
Quel est l’intérêt majeur de l’UE à préserver la culture de la betterave ?
Le sujet aujourd’hui n’est pas de couvrir les besoins en sucre de la planète mais de préserver un de nos meilleurs outils dans la transition écologique. La betterave est multifonctionnelle. On ne l’utilise que pour 10 à 15 % à des fins alimentaires en fait. Souvent on ignore qu’elle peut jouer un rôle dans l’équilibre énergétique.
Elle est aussi source d’eau. Elle en contient 85 % qui peut servir à irriguer les champs. Elle est aussi une solution dans la lutte contre les gaz à effet de serre. Un hectare de betteraves fixe 40 tonnes de CO2 par an contre 2,3 tonnes émises par sa culture. On en fait de l’éthanol pour les voitures, du méthane avec les résidus de l’extraction du sucre.
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