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La ville d’Ayodhya, dans le nord de l’Inde, est en ébullition. Bulldozers, bitumeuses, pelleteuses, marteaux-piqueurs… la ville vit depuis plusieurs mois au rythme des engins de chantier. Des milliers de pèlerins venus de toute l’Inde ont gagné la ville dans un grand remue-ménage dont seuls les Indiens ont le secret. Beaucoup arborent le « tilak », une large marque verticale rouge et blanche peinte sur leur front. Certains agitent fièrement le « Bhagwa Dhwaj », le drapeau couleur safran des organisations nationalistes hindoues.
Tous n’attendent qu’une seule chose : l’arrivée de Narendra Modi. Le Premier ministre est attendu ce lundi dans cette ville poussiéreuse et pauvre de l’Etat d’Uttar Pradesh. Il doit inaugurer un immense temple consacré au dieu Ram, une déité extrêmement populaire du panthéon hindou.
Souvenir douloureux
Ce n’est pas un événement ordinaire. Pour la communauté musulmane, le temple rappelle en effet de biens mauvais souvenirs. Car cet imposant édifice de grès rouge à 220 millions d’euros a été construit sur le site de la mosquée de Babri, démolie en quelques heures par des fanatiques hindous en 1992.
A l’époque, le parti de Narendra Modi, le Bharatiya Janata Party (BJP), avait contribué à l’escalade de la violence en chauffant à blanc les éléments hindous les plus radicaux. La destruction de la mosquée avait déclenché des violences intercommunautaires dans le nord de l’Inde, faisant 2.000 morts, principalement musulmans.

Le temple de Ram d’Ayodhya, ici photographié le 16 janvier 2024Deepak Sharma/Ap/SIPA
Pour les croyants hindous, la mosquée Babri avait été construite par les Moghols sur le lieu de naissance du dieu Ram. Certains voulaient donc faire place nette pour l’érection d’un temple hindou sur le site.
Après plusieurs décennies de bataille judiciaire, la Cour suprême indienne a autorisé la construction d’un édifice hindou en 2019 en s’appuyant sur une étude archéologique indiquant la présence de ruines préislamiques sous la mosquée qui avait été rasée. La construction du temple a été financée par des dons privés.
Un symbole pour Modi
Pour Narendra Modi, c’est tout un symbole. L’érection de ce temple est une promesse de longue date du BJP. En se posant comme chef d’orchestre lors de l’événement, Modi renforce son image de gardien de la foi hindoue et s’offre une immense tribune politique à quatre mois à peine des législatives.
Comme lors du G20 de Delhi, il est impossible de faire dix mètres sans voir des portraits de Narendra Modi à Ayodhya. A chaque intersection, de larges panneaux orange figurent le leader hindou, mains jointes devant la poitrine et faisant face au dieu Ram, peau bleue, arc bandé et carquois dans le dos.
Pour ses détracteurs, le Premier ministre s’est fait le fossoyeur de la laïcité indienne. « Depuis quand est-ce le rôle du gouvernement de construire des temples, tout particulièrement dans un pays doté d’une constitution laïque ? » s’est interrogé Sandeep Pandey, le secrétaire général du Parti socialiste indien. Le Parti du Congrès, la principale formation d’opposition, a déjà fait savoir qu’il boycotterait l’inauguration, arguant que le BJP avait instrumentalisé l’événement à des fins électorales.
Epicentre du nationalisme hindou
La ville est devenue l’épicentre du nationalisme hindou. Dans la rue, les pèlerins crient « Jai Shri Ram » (« Gloire au dieu Ram ») – le cri de ralliement des nationalistes hindous. C’est ce même slogan qui était scandé par les fanatiques ayant détruit la mosquée à coups de pioche en 1992.
« Ayodhya est pour les hindous ce que La Mecque représente pour les musulmans », avance Gaurav Dayal, le préfet du district d’Ayodhya. « C’est un événement capital pour les hindous, qui attendent ce moment depuis cinq cents ans. »
Effacement de l’histoire indienne
Pour certains observateurs, l’inauguration du temple de Ram vient asseoir l’idéologie suprémaciste des nationalistes hindous. Pour eux, la foi hindoue, seul vrai socle de l’identité indienne, a été étouffée par le joug des musulmans puis des Britanniques.
« Modi répète que son élection en 2014 a libéré le pays de 1.200 ans d’esclavage. Pourquoi ? Parce que les conquêtes musulmanes ont commencé en Inde aux alentours de 800 », explique Vinay Lal, professeur d’histoire indienne à UCLA. « Pour Modi, l’Inde est une civilisation hindoue avant tout. L’inauguration du temple de Ram est une manière de réécrire l’histoire indienne et de renier l’héritage musulman. »
Gourous radicaux
Certains craignent que ce qui s’est passé à Ayodhya ne pousse les extrémistes hindous à faire pareil ailleurs. La ville regorge d’ailleurs de gourous radicaux. Paramhans Acharya est l’un d’entre eux. Ce prêtre qui chapeaute l’un des temples de la ville s’était déjà fait remarquer pour avoir proposé une prime d’un million d’euros à celui qui décapiterait un homme politique du sud du pays dont les propos sur l’hindouisme lui avaient déplu.
Le gourou est venu à notre rencontre à bord d’un énorme 4×4 blanc et accompagné d’un policier armé jusqu’aux dents. « Les Moghols ont recouvert nos temples pour les transformer en mosquées ou en mausolées », explique-t-il, enveloppé dans une toge safran, dreadlocks sur la tête et mules en bois aux pieds. « Nous allons demander au gouvernement de mener des fouilles sous le Taj Mahal. S’ils trouvent des restes de temple, nous détruirons les quatre minarets, et nous le transformerons en temple hindou consacré à Shiva. Et notre drapeau safran flottera au sommet. »
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