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Durant tout l’été, Christelle a assisté au ballet des départs et des retours de vacances de ses voisins « juillettistes » ou « aoûtiens ». Pour cette Parisienne de 58 ans, en fauteuil roulant, qui vit seule dans un appartement aménagé pour personnes handicapées, la période estivale a ressemblé, la canicule en plus, aux autres jours de l’année : quelques promenades rituelles, en compagnie de son chien Norton, autour du pâté d’immeubles. Il en est ainsi, chaque été, depuis sept ans.
« Partir en vacances ? Comment faire ? » Et la quinquagénaire d’énumérer la montagne d’obstacles qui se dresse face à un tel projet. Si à Paris, elle bénéficie d’une aide à domicile, prise en charge à 100 %, notamment pour sa douche et ses besoins quotidiens, elle ne peut plus y prétendre si elle change de département. Elle pourrait bien sûr faire appel à une auxiliaire de vie indépendante, mais il faudrait la payer de sa poche. Une dépense irréaliste pour le budget serré de cette veuve, qui n’envisage plus, depuis le décès de son mari en 2014, de partir ne serait-ce que quelques jours.
Des vacances plus coûteuses
« Les vacances, pour les personnes handicapées, sont souvent plus coûteuses. Elles ne peuvent pas travailler et vivent souvent avec l’Allocation adulte handicapé », explique Sushina Lagouje (son pseudonyme sur X-anciennement Twitter), une enseignante de français, elle aussi en fauteuil en roulant, qui témoigne régulièrement sur le réseau social de l’extrême difficulté, en tant que personne handicapée, à avoir accès aux vacances et plus généralement aux loisirs.
Mère d’une petite fille de 3 ans, elle ne renonce pas à partir, mais elle sait qu’elle devra payer un surcoût à l’hôtel pour la chambre dite pour « personne à mobilité réduite » (PMR). Encore faut-il s’armer de patience, bien en amont, avant de trouver de tels hébergements, qui restent sur le territoire une denrée rare, d’autant plus introuvable quand la personne handicapée réclame une chambre PMR familiale.
« Un des impensés de notre société est qu’une personne handicapée ne peut pas être en couple et encore moins avoir des enfants », analyse Sushina Lagouje, qui évoque notamment sa frustration de ne pouvoir être à proximité de sa fille quand cette dernière se baigne ou joue sur des plages, encore majoritairement inaccessibles aux personnes en fauteuil roulant. « Je dois me contenter de l’observer de loin », déplore-t-elle.
Des obstacles dès la réservation
« Je suis handicapée mais j’ai aussi l’inconvénient d’être maman. Et ça, la SNCF a beaucoup de mal à imaginer qu’on puisse être handicapé et voyager avec son enfant », ironise Leitha GND (son pseudonyme sur X), pour qui les obstacles commencent dès la réservation du trajet, « une bataille où il faut une patience hors du commun avant d’obtenir une assistance adéquate, qui tienne réellement compte de nos contraintes ».
Fait révélateur : sur le site de la compagnie ferroviaire publique, cocher la case « voyageur handicapé » exclut d’office la possibilité de réserver un billet pour un mineur. Selon Leitha : « On peut bien sûr appeler le service dédié, au prix d’une longue attente et avec le risque de se soumettre à des remarques déplacées, comme : »Vous êtes handicapée et vous avez des enfants ? » »
Une étape éprouvante pour un service d’accompagnement qui, selon de nombreux témoignages des personnes concernées, laisse à désirer.
« C’est toute une histoire. Il faut arriver avec trente minutes d’avance, pas une de moins, sinon on vous refoule », abonde Christelle, selon qui il est déjà arrivé à des personnes handicapées de n’avoir pu descendre à la gare désirée, faute de passerelle permettant à leur fauteuil d’accéder au quai car « avoir une passerelle au départ ne garantit pas toujours d’en avoir une à l’arrivée ».
« Horizon rétréci »
Il faut donc s’assurer à chaque étape auprès des agents que leur présence a bien été prise en compte pour rendre accessible leur voyage, « une charge mentale » démesurée pour Sushina Lagouje, qui dit devoir s’y prendre plusieurs mois à l’avance afin de réserver une des deux ou trois places de TGV dédiées aux personnes handicapées. Elle comprend dès lors que beaucoup, comme Christelle, préfèrent renoncer au départ.
« Toutes ces difficultés que rencontrent les personnes handicapées pour voyager, se déplacer et plus largement pour occuper l’espace public sont symptomatiques d’une société discriminatoire et validiste », analyse Amina, elle aussi confrontée, en raison de son handicap, à cet horizon rétréci imposé par le manque d’accessibilité. « Ce qui est considéré comme accessible par des valides, ne l’est évidemment pas pour nous », ajoute la jeune femme.
Un traitement dépolitisé des personnes handicapées
Comme Sushina Lagouje, elle revendique une véritable politique autour de la question du handicap, à contre-courant du traitement dépolitisé actuellement réservé aux personnes handicapées, consistant à les présenter à travers des parcours individuels comme des « leçons de vie » .
Comment expliquer un tel retard, alors que la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions a imposé comme objectif national « L’égal accès de tous, tout au long de la vie, à la culture, à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs »?
Sushina Lagouje en est convaincue : « Le vrai problème est que les handicapés sont souvent exclus des décisions importantes liées à leur autonomie et à l’accessibilité. Tant qu’on n’aura pas la parole et de véritables moyens pour agir, rien ne bougera.»
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