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Publié le 28 oct. 2023 à 11:00
Un siècle de la « force », de la « défense », de la « science », de « l’énergie » ou encore de l’« infrastructure ». C’est que proclame un chapiteau consacré à l’oeuvre de Recep Tayyip Erdogan, érigé à Istanbul, à l’occasion du centenaire de la république turque, ce dimanche 29 octobre. On y voit notamment des installations numériques de drones Bayraktar, du « TCG Anadolu », le plus grand navire de guerre turc, ainsi que de la TOGG, la première voiture fabriquée en Turquie, lancée en 2022. Autant de succès qu’aurait entrepris le « reis » au cours de ses vingt années à la tête du pays .
Ces festivités historiques sont l’occasion pour le président turc de claironner ses accomplissements et de déployer, une fois de plus, son efficace machine de communication. Quels que soient les avis sur son bilan, il est indéniablement la figure politique la plus influente qu’ait connue la république de Turquie depuis son fondateur lui-même, Mustafa Kemal Ataturk. Réélu en mai dernier pour un mandat se terminant en 2027 , le président a déjà marqué le pays comme nul autre après la mort d’Ataturk en 1938. Et il a, à bien des égards, contesté l’héritage du « père des Turcs ».
Il y a 100 ans, Mustafa Kemal proclamait la république
Il y a cent alors, en 1923, Mustafa Kemal proclamait la république à l’issue d’une âpre résistance menée contre les puissances européennes qui s’étaient partagé les territoires ottomans au terme de la Première Guerre mondiale. C’est la « guerre de libération ». Après cette victoire, le « gazi » ou « victorieux », rompt avec l’Empire ottoman en instaurant une république résolument laïque et moderne sur le modèle des Etats-nations européens.
Inspiré par la philosophie des Lumières, Mustafa Kemal procède à une occidentalisation et à une sécularisation à marche forcée de cette Turquie nouvellement fondée. En 1924, il abolit le califat, l’autorité islamique de l’Empire ottoman, et crée la « Diyanet », un organisme chargé de l’administration du culte musulman sunnite.
Cette même année, les écoles coraniques sont fermées et remplacées des écoles républicaines. La charia est également abandonnée au profit du droit positif : en 1926, il fait adopter un Code civil calqué sur celui de la Suisse.
Mustafa Kemal entreprend par ailleurs une refonte de la langue turque, remplaçant l’usage de l’alphabet arabe par l’alphabet latin en 1928. En 1937, il parachève ces réformes en inscrivant le principe de laïcité dans la constitution.
Après sa mort et la tenue des premières élections démocratiques du pays en 1946, l’héritage d’Ataturk a été porté par les tenants de la tradition dite « kémaliste ». Un courant qui a notamment dominé l’armée turque. Se posant en garde-fou contre l’islam politique, celle-ci a d’ailleurs longtemps invoqué la nécessité de protéger les acquis kémalistes derrière des coups d’Etat récurrents.
La rupture avec l’arrivée au pouvoir d’Erdogan en 2003
Cela jusqu’à ce que Recep Tayyip Erdogan la réforme en profondeur au mitan des années 2000. A ce jour, la deuxième force politique du pays n’est autre que le Parti républicain du peuple (CHP), le parti fondé par Mustafa Kemal lui-même, que Kemal Kilicdaroglu, le malheureux candidat à l’élection présidentielle de mai dernier, continue de diriger.
Arrivé au pouvoir en 2003, Recep Tayyip Erdogan, lui, entretient une relation délicate avec le père de la nation. Issu de l’islam politique, il regrette les réformes kémalistes. « Erdogan ne revendique par le retour du califat, mais, dans la mesure où Ataturk a sécularisé et imposé des institutions contraires à la culture et l’histoire musulmane du pays, il considère que Mustafa Kemal a aliéné la société turque à ses traditions », avance Ahmet Insel, un politiste exilé à Paris et auteur de « La Nouvelle Turquie d’Erdogan » (éditions La Découverte, 2015).
Ainsi, si Mustafa Kemal a cherché à minimiser le rôle de la religion dans l’espace public, Recep Tayyip Erdogan a souhaité le renforcer. A cet égard, l’actuel président turc a exprimé la volonté de former une « génération pieuse » et a utilisé certaines des institutions léguées par le père des Turcs pour arriver à cette fin. A l’instar de la Diyanet qui, fondée dans l’idée placer la religion sous la tutelle de l’Etat, est devenue « l’instrument permettant de rendre les pratiques et les signes religieux hégémoniques dans l’espace public », sous la gouvernance du Parti de la justice et du développement (AKP), explique Ahmet Insel.
Former de nouvelles générations « pieuses »
Ainsi, la Diyanet, qui nomme les imams et gère les mosquées, a-t-elle vu son importance et son budget s’accroître au cours des deux dernières décennies. En 2023, son budget s’établissait à 43,3 milliards de lires turques, soit près de 1,5 milliard d’euros, selon le taux de change actuel. C’est plus de deux fois et demi celui du ministère des Affaires étrangères, dont le budget s’élève à près de 17 milliards de lires turques, soit 572 millions d’euros. De surcroît, le président de la Diyanet, qui se devrait d’être apolitique selon la constitution, appuie ouvertement les actions du président Erdogan.
Erdogan ne met évidemment pas en valeur pas les réformes d’Ataturk dirigées contre l’islam. En revanche, il souligne son rôle de combattant qui a remporté la guerre d’indépendance contre les puissances occidentales.
Halil Karaveli Analyste à l’Institut pour la politique de sécurité et de développement
Comme à l’été 2020 lorsque le « reis » a ordonné la reconversion de la basilique Sainte-Sophie en mosquée. Une atteinte à l’héritage Mustafa Kemal, encore, puisque celui-ci avait fait de cet édifice byzantin, – converti en mosquée à l’issue de la conquête ottomane de Constantinople en 1453 -, un musée en 1934 afin de « l’offrir à l’humanité ». Ali Erbas, le président de Diyanet, avait alors été placé sur le devant de la scène de la « reconquête » de l’édifice, prononçant des sermons exaltés au service du chef d’Etat.
Le président turc a également profondément remodelé le champ éducatif. A partir de 2017, alors que la théorie de l’évolution de Charles Darwin est retirée du programme scolaire des lycées publics, des cours de « morale et de religion » introduits en 1982 y sont élargis. Désormais, les établissements doivent également se doter d’un local de prière pour les élèves.
La théorie de l’évolution retirée du programme des lycées
Dans le même temps, les écoles Imam-Hatip, créées en 1951 pour former le personnel religieux de la Diyanet, ont gagné en importance. A partir de 2012, ces écoles, qui consacrent près d’un tiers de leur enseignement à la religion et qui jusqu’alors ne comptaient que des lycées, ont été étendues au niveau du collège. Entre 2012 et 2022, leur nombre a été multiplié par huit. Ils regroupent aujourd’hui 4.313 écoles à travers le pays, soit près de 13,5 % du nombre total des établissements scolaires. « Sous Erdogan, il y a eu une reconfiguration éducationnelle orientée vers la religion », résume Berk Esen, un politiste à l’université Sabanci d’Istanbul.
Depuis la réouverture de la Grande Assemblée nationale de Turquie au début du mois d’octobre, le président turc a d’ailleurs remis sur la table un projet d’amendements constitutionnels portant sa vision conservatrice de la société. Il est notamment question d’inscrire une « protection » du port du voile islamique pour les femmes ainsi que de l’institution du mariage traditionnel contre la menace de « courants pervers et déviants ».
Selon Berk Esen, ces amendements pourraient également impliquer une « remise en question du Code civil laïc ». « Il est très probable qu’Erdogan minimise le principe de laïcité dans le système politique turc », affirme le politiste. Afin de soumettre ces changements constitutionnels à un référendum populaire, le président turc devra obtenir une majorité parlementaire de 360 voix sur 600, soit le soutien de près de 40 députés issus de l’opposition.
Erdogan dans la lignée de Kemal sur l’autonomie
Mais, si Recep Tayyip Erdogan est en rupture avec l’héritage de Mustafa Kemal sur le plan culturel et religieux, il s’inscrit aussi dans sa continuité à d’autres égards. « Erdogan ne met évidemment pas en valeur pas les réformes d’Ataturk dirigées contre l’islam. En revanche, il souligne son rôle de combattant qui a remporté la guerre d’indépendance contre les puissances occidentales », explique Halil Karaveli, un analyste à l’Institut pour la politique de sécurité et de développement, un think tank installé à Stockholm, par ailleurs auteur du livre « Pourquoi la Turquie est autoritaire : d’Ataturk à Erdogan » (non traduit), publié en 2018.
S’ils sont occidentalistes d’un point de vue culturel, les élites kémalistes ont toujours été souverainistes et nationalistes. En ce sens, ils sont farouchement opposés à une Turquie arrimée à l’Occident.
Ahmet Insel Politiste
En effet, si continuité il y a, c’est bien dans la volonté des deux hommes de maximiser l’influence de la Turquie, laïque ou non, sur la scène internationale. « Ils ne sont pas si différents dans la mesure où tous deux cherchent à faire de la Turquie une grande puissance », note Soner Cagaptay, un politiste affilié au Washington Institute for Near East Policy. Et cette puissance réside avant tout dans l’autonomie stratégique du pays.
Un point sur lequel les élites politiques turques se sont toujours accordées. « S’ils sont occidentalistes d’un point de vue culturel, les élites kémalistes ont toujours été souverainistes et nationalistes, souligne Ahmet Insel. En ce sens, ils sont farouchement opposés à une Turquie arrimée à l’Occident. »
Erdogan promet un « Siècle de la Turquie »
Ainsi, les avancées en matière d’indépendance stratégique sont-elles tout l’objet des festivités prévues à l’occasion du centenaire de la république. L’objectif est de mettre en avant les réalisations accomplies par l’industrie d’armement et notamment le fait que, désormais, la Turquie produit elle-même 80 % de ses besoins dans ce domaine. Outre les expositions, les jeux de lumières et les feux d’artifice, il est également question d’un spectacle de drones Bayraktar sur le Bosphore.
Les célébrations sont estampillées « Siècle de la Turquie », soit une notion introduite par l’équipe de communication du président turc l’an dernier qui promeut l’idée selon laquelle l’année 2023 marquera l’avènement d’un siècle dominé par l’hégémonie turque. Dans l’une des vidéos produites dans le cadre de cette campagne communicationnelle, on y voit par exemple Recep Tayyip Erdogan dédicacer des drones, le navire d’exploration gazière Oruc reis, ou encore un flacon de Turkovac, le vaccin anti-Covid développé par le ministère turc de la Santé en 2021.
« Nous avons déjà franchi de nombreuses étapes en peu de temps et nous continuerons d’élever notre pays au rang des nations les plus prospères et avancées du monde », proclame une voix triomphante en fond sonore. Elle n’est autre que celle de Mustafa Kemal.
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