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Publié le 15 déc. 2023 à 7:25Mis à jour le 15 déc. 2023 à 10:15
Pour les journalistes, le suspense a duré jusqu’à la dernière minute. Mais dans les couloirs du pavillon européen de la COP28 à Dubaï, c’est plutôt mardi vers 20 heures que tout a basculé. « J’ai reçu un message « seems rather good » [«ça sent plutôt bon », NDLR] sur la boucle des chefs de délégations européens. Et là, j’ai repris espoir… », raconte Agnès Pannier-Runacher, cheffe de la délégation française.
C’est peu dire que la conférence de l’ONU pour le climat qui vient de s’achever aux Emirats arabes unis a été riche en rebondissements. Elle s’est conclue mercredi matin un peu après 11 heures : un coup de marteau du président émirati, Sultan al Jaber, a scellé l’accord de 195 pays du monde entier autour d’un texte évoquant pour la toute première fois une sortie des énergies fossiles . Un message politique fort, sans doute insuffisant mais lui permettant de conclure la grand-messe onusienne la tête haute.
Gros moment de doute
Pourtant, 36 heures plus tôt, la possibilité d’un échec a plané sur Dubaï. « Je dois reconnaître que j’ai eu un gros moment de découragement », avoue la ministre. Car pour l’Union européenne comme pour d’autres pays volontaristes (les petits Etats insulaires ou certains pays d’Amérique latine), le projet de texte final transmis par la présidence de la COP, lundi vers 17 h 30, a eu l’effet d’une véritable douche froide.
Sultan al Jaber avait pourtant clairement affiché, au début de la conférence onusienne, qu’il souhaitait voir la sortie des énergies fossiles figurer dans la décision. Et c’était bien le cas dans les versions précédentes qui avaient été diffusées. Mais là, tout a disparu, ou presque.
Les formulations sont molles. Le texte comporte une liste d’options permettant à chaque pays de faire son marché, et inclut des éléments inacceptables aux yeux des Européens : recul sur le charbon, quasi-disparition de la sortie des énergies fossiles, etc. Or, la COP est censée se terminer le lendemain à 11 heures… c’est en tout cas l’objectif affiché par Sultan al Jaber, même si personne n’y a jamais vraiment cru.
« Il y a alors eu une forme de saisissement collectif des pays les plus ambitieux », raconte un diplomate. « Nous nous sommes dit que le texte reflétait les positions des pays les plus durs ( l’Arabie saoudite et les pays arabes , l’Inde , la Bolivie, mais aussi certains pays africains), et qu’il fallait réagir fort. » La lettre de l’Opep enjoignant ses membres de ne rien céder à la COP, dévoilée le vendredi soir, avait laissé entrevoir cette ligne dure, sans toutefois susciter alors trop d’inquiétude chez les diplomates.
Moment fort
Mais ce lundi soir, la machine diplomatique se met aussitôt en branle. Dès 18h30, la coordination européenne se réunit. Les ministres et les diplomates se répartissent les échanges avec leurs homologues hors de l’UE : les îles Marshall, les Samoa, la Colombie, le Kenya, le Bangladesh… La vingtaine de pays membres de la coalition pour une Haute ambition climatique (HAC) se mobilisent et cherchent des alliés.
Une réunion s’improvise entre eux. Il faut convaincre la sécurité de laisser la vingtaine de ministres présents accéder à une salle – ce qui prend au moins 10 minutes. Celle-ci se remplit petit à petit, les chaises manquent, les ministres et leurs équipes s’assoient sur les tables. « Il y a eu un moment particulièrement fort, lorsque l’émissaire britannique est arrivé tout droit d’une réunion du groupe de l’ombrelle (qui comprend aussi les Etats-Unis, l’Australie, le Canada, NDLR), en expliquant que le texte ne leur convenait pas non plus », raconte un participant.
« On s’est alors aperçus qu’on était très nombreux, et qu’on devait faire bloc », confirme Agnès Pannier-Runacher. Le Brésil est lui aussi partisan d’un message fort. La Chine est plus en retrait, mais ne s’y oppose pas. Au total, les délégués réunis dans la salle représentent près de 130 pays, qui décident de travailler à un texte alternatif.
Et là, tout à coup, on a senti qu’en face il se passait quelque chose
Au cours de la plénière à huis clos qui se tient un peu plus tard ce lundi soir, leurs représentants enchaînent les discours, plus fermes les uns que les autres. Celui de John Kerry, l’émissaire américain, est particulièrement applaudi. « On s’était dit, on y va, on lâche rien, et on répète, on répète, on répète qu’on n’est pas d’accord… », raconte Agnès Pannier-Runacher. « Et là, tout à coup, on a senti qu’en face il se passait quelque chose. »
Lorsque les délégués finissent par rentrer se coucher, un peu avant trois heures du matin, rien n’est toutefois acquis. Il faudra encore de nombreuses réunions le mardi, d’allers-retours entre les délégations des pays et la présidence de la COP28, et de nouvelles itérations du texte, pour parvenir à la publication mercredi vers 7 heures d’une version aboutie.
« Nous avons eu vent d’énormes pressions du président al Jaber pendant ces heures fatidiques », raconte un délégué. « La présidence s’est énormément impliquée », confirme-t-on au cabinet d’Agnès Pannier-Runacher.
Victoire du multilatéralisme
La formulation « transition away » en lieu et place de « phase out » pour évoquer la sortie des combustibles fossiles, a fini par emporter l’adhésion – même si les nuances entre elles (toutes deux peuvent être traduites en français par « sortie progressive ») sont subtiles.
Pour l’anecdote, la délégation française, qui se souvenait de la formule « transition away », utilisée lors d’un sommet des îles du Pacifique, l’avait suggérée à l’équipe brésilienne après la rencontre entre Agnès Pannier-Runacher et son homologue brésilienne Marina Silva, dès le 10 décembre. « La ministre savait qu’une réunion du groupe BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine) devait se tenir ce jour-là. J’imagine que nous ne sommes pas les seuls à y avoir pensé, mais cela a peut-être contribué à diffuser l’idée… », veut croire un membre de l’équipe tricolore.
Le texte est finalement publié mercredi vers 7 heures, la plénière convoquée pour 11 heures. Lorsqu’ils arrivent dans l’immense salle plénière Al Hairat, les délégués savent que l’accord est scellé… sans encore y croire tout à fait.
Emue et fatiguée après plusieurs courtes nuits, Agnès Pannier-Runacher salue alors une « victoire du multilatéralisme ». « Les pays se sont serré les coudes, ils sont aussi allés au-delà de leurs intérêts propres au lieu de rester dans leurs cases, c’est très fort ! », se félicite-t-elle mercredi soir, soulagée de ne pas avoir à quitter Dubaï sur un échec.
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