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Alors que le mouvement de protestations des agriculteurs ne faiblit pas en France, la FNSEA tente de se placer en première ligne d’un mouvement qu’elle peine à maîtriser.
« Tant qu’il n’y a pas de choses concrètes, on continuera la manifestation et on avancera sur Paris », affirmait Vincent Boucher, agriculteur et membre de la FNSEA de l’Oise à l’antenne de BFMTV ce mardi 23 janvier. De son côté, le patron de la FNSEA Arnaud Rousseau, invité sur France 2 mercredi 24 janvier, se montrait moins décidé. « Non à ce stade ce n’est pas une option », a-t-il affirmé, tout en concédant à demi-mot qu’elle pourrait être envisagée « si les choses ne devaient pas être entendues ».
« Le blocage de Paris « doit être un des derniers recours », confirmait le président de Jeunes Agriculteurs, Arnaud Gaillot, ce jeudi 25 janvier, depuis un barrage dans l’Yonne. Dans le même temps, l’antenne départementale de la FNSEA Ile-de-France appelait à une mobilisation parisienne dès demain.
Un décalage entre le terrain et la direction du syndicat qui dit beaucoup de la spécificité de ce mouvement et de la nécessité de se positionner pour les organisations représentatives du secteur, à commencer par la FNSEA, syndicat majoritaire.
Un mouvement né dans le sud-ouest
Dès le 16 janvier, date du début des blocages, cette dissonance était perceptible. Ce jour-là, Philippe Jougla, le représentant régional de l’organisation (FRSEA), rapporte, sous les huées d’une partie des manifestants de la place du Capitole à Toulouse, les résultats en demi-teinte obtenus à l’issue d’une réunion avec la préfecture.
Les éleveurs réclament notamment le déblocage d’aides au dépistage de la maladie hémorragique épizootique (MHE) qui touche une partie du bétail dans le sud-ouest depuis la rentrée, la baisse du coût du gazole non routier (GNR), ainsi que des mesures contre la sécheresse.
Mais la coupe est déjà pleine et la colère déborde. Alors que le représentant syndical demande aux 200 manifestants de rentrer chez eux, Jérôme Bayle, éleveur de vaches limousines et figure locale, appelle à se diriger vers l’autoroute A64. Ce sera le début du blocage de cet axe qui relie Toulouse à Bayonne.
Si ce sont principalement les frais liés au vétérinaire et à la MHE qui ont décidé les agriculteurs de cette région à se mobiliser en premier, partout dans l’Hexagone et même au-delà en Europe, le ras-le-bol est partagé. La profession est étranglée par des coûts trop lourds, une rémunération trop faible et des normes européennes chronophages et déconnectées de la réalité du métier.
Après sa naissance dans la région toulousaine, le mouvement s’étend spontanément à d’autres territoires. Ce jeudi, soixante points de blocages étaient comptabilisés sur le territoire.
La FNSEA, interlocuteur privilégié de Matignon
Quelques jours plus tard, ce sont Arnaud Rousseau, le patron de la FNSEA, et celui de son allié, Jeunes agriculteurs, que Gabriel Attal invite à Matignon.
Véritable poids lourd du syndicalisme agricole, la FNSEA réunit plus de 212.000 adhérents, peut-on lire sur son site. « Le taux de syndicalisation est très fort par rapport à n’importe quel syndicat de travailleurs et de patrons », indique Giovanni Prete, sociologue spécialiste du monde agricole et co-auteur de l’Agriculture Empoisonnée (Presses de Sciences Po). Une adhésion massive qui s’explique notamment par le rôle et l’ancrage des différentes chambres d’agriculture au niveau local.
Mais la manière dont le syndicat s’empare d’un mouvement qu’il n’a pas initié n’est pas vue d’un bon œil par une partie des manifestants.
« Ce ne sont pas eux qui ont donné le feu vert. Si on les avait attendus pour se mobiliser, on aurait rien fait avant demain mardi », affirmait Jérôme Bayle, éleveur de vaches limousines en Haute-Garonne et figure locale du mouvement, auprès de France 3 occitanie lundi.
Une « collusion » avec le gouvernement
Les visites à Matignon n’ont pourtant rien d’exceptionnel pour la FNSEA. Elle est « un mouvement de centre droit qui a toujours été associé aux politiques agricoles », rappelait Jean-Noël Jouzel lundi auprès de Franceinfo.
C’est d’ailleurs ce qui lui est en partie reproché par une partie de la base du mouvement. Dans un communiqué publié lundi, le Modef (Confédération syndicale agricole des exploitants familiaux) s’en prenait au syndicat majoritaire.
Il qualifiait d' »insupportable » le face-à-face « FNSEA-gouvernement », reprochant à l’organisation syndicale d’avoir « accepté la fin de l’avantage fiscal lors d’un échange avec Bruno Le Maire en septembre dernier ». Le Modef rappelait qu' »un agroindustriel » (Arnaud Rousseau, ndlr) était à la tête de la FNSEA. Le céréalier est en effet également président du conseil d’administration du groupe Avril.
« Le MODEF n’est pas dupe et dénonce cette collusion depuis 78 ans! Il y a urgence à changer le cours des choses et nous pouvons y parvenir si nous en avons la volonté », dénonçait enfin l’organisation.
À l’issue de cette réunion à Matignon, Arnaud Rousseau s’est aligné sur les manifestants et a durci le ton. Il n’y aura « pas de levée des actions » menées par les agriculteurs tant qu’il n’y aura « pas de décisions concrètes » de l’exécutif, a-t-il déclaré à l’issue de son entretien avec le Premier ministre.
Un jeu de pouvoir autour de la représentation
Une manière de se placer en première ligne de cette mobilisation et d’en rejoindre sa base. Mais l’exercice est difficile pour la FNSEA qui doit à la fois conserver sa place d’interlocuteur clé auprès du gouvernement et maîtriser le mouvement. « J’appelle au calme et à surtout ne pas utiliser la violence », a aussi affirmé Arnaud Rousseau ce jour-là.
« Un des enjeux est aussi d’apparaître comme le défenseur des intérêts d’un monde agricole uni », estime Giovanni Prete. Or le monde agricole est assez morcelé avec des intérêts parfois très contradictoires.
« Les intérêts des grands céréaliers, par exemple, incarnés par Arnaud Rousseau ne sont pas les mêmes que les petits agriculteurs », illustre-t-il.
Mais le mouvement actuel représente aussi un enjeu de lutte autour de la représentation entre les différentes forces syndicales. D’autant que l’échéance de la prochaine élection des chambres d’agriculture, prévue début 2025, se rapproche doucement.
Des actions menées par Coordination Rurale
D’abord ignorées, les deux autres organisations syndicales principales, ont, elles aussi , été invitées à s’asseoir à la table par Gabriel Attal. À l’issue de son entretien à Matignon, la présidente de Coordination Rurale, Véronique Le Floch, s’est montrée assez dure à l’égard de l’exécutif, jugeant « catastrophique » que le Premier ministre n’ait encore fait aucune annonce d’urgence.
« On attendait au moins un signe fort sur le gazole non routier (GNR) et des mesures par rapport à la trésorerie des agriculteurs qui sont confrontés à des crises sanitaires sans précédent », a-t-elle dit, espérant voir les banques proposer des « reports automatiques d’échéances » pour les exploitants « étranglés par les charges et la paperasserie ».
Cette organisation minoritaire avait annoncé dès le 19 janvier son intention de manifester, le 25 janvier, sur plusieurs points du territoire. Ces derniers jours, elle a mené plusieurs actions. Ce mercredi, certains de ses membres bloquaient l’A62 et déversaient des déchets devant la préfecture d’Agen (Lot-et-Garonne). L’organisation a également appelé à manifester à Bruxelles.
Mercredi soir, la FNSEA reprenait les devants en remettant 24 revendications au gouvernement, qu’elle appelle à prendre en compte dans leur intégralité. Parmi les dispositions d’urgence, l’organisation demande un respect absolu des lois Egalim qui garantissent le juste revenu des agriculteurs et la mise en place immédiate d’un crédit d’impôt sur le Gazole non routier (GNR).
Un modèle interrogé
« Un paquet sur lequel nous ne transigerons pas », a prévenu ce jeudi le président de la FNSEA Arnaud Rousseau depuis un barrage dans l’Yonne. « La balle est dans le camp du gouvernement », à qui il revient « de faire qu’on évite une paralysie du pays », a ajouté le patron des Jeunes Agriculteurs.
Mais au-delà de ce jeu d’influence entre les différents syndicats et des revendications de court-terme qui seront obtenues, la colère actuelle des agriculteurs témoigne d’un malaise plus profond. Une perspective de long terme que la FNSEA a bien dans son viseur.
En plus de revendications dites « urgentes », elle réclame des mesures « de long terme » au gouvernement comme une pause normative ainsi que l’ouverture d’un chantier de réduction des normes.
La mobilisation actuelle porte aussi sur la question du modèle d’agriculture vers lequel tendre. Une question à l’égard de laquelle la FNSEA entretient une forme d’ambiguïté, selon Giovanni Prete. « Elle se positionne d’un côté en faveur d’une politique agricole d’exportation tout en défendant de l’autre les revenus des agriculteurs locaux », estime le chercheur.
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