[ad_1]
Deux ans après l’invasion de l’Ukraine, la Russie a déjoué les pronostics en sauvant son économie. Si elle parvient en partie a contourné les sanctions occidentales, la robustesse de sa croissance tient avant tout à l’explosion de la dépense publique militaire qui dope sa production industrielle.
« Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe ». Au lendemain de l’invasion de l’Ukraine, Bruno Le Maire promettait une réponse occidentale sans précédent contre Moscou, avec des sanctions massives qui mettraient à genoux son économie. Gel des réserves de la banque centrale, restrictions aux exportations et aux importations… Les mesures prises par les alliées de Kiev à l’encontre de la Russie sont allées crescendo au fil des mois, de l’Union européenne aux États-Unis, en passant par le Japon ou l’Australie.
Mais deux ans plus tard, force est de constater que l’économie russe ne s’est pas effondrée. Si les sanctions occidentales n’ont pas été sans effet, le Kremlin a su prendre des mesures drastiques pour en limiter la portée. Dès février 2022, la banque centrale russe (BCR) volait au secours du rouble en augmentant de plus de dix points son taux directeur, tandis que le gouvernement interdisait quelques semaines plus tard aux étrangers de vendre leurs participations dans des projets financiers et énergétiques établis sur son territoire. Les exportateurs russes se sont quant à eux vus contraints de convertir 80% de leurs revenus en roubles.
Insuffisant pour éviter la récession. La première année de guerre s’est traduite par une chute du PIB russe de 2,1%. Un recul toutefois limité alors que le FMI prévoyait initialement une dégringolade de 8,5%. Surtout, l’économie russe est parvenue à se redresser en affichant une croissance de de 3% en 2023, selon Rosstat. Le FMI a lui-même revu en forte hausse sa prévision de croissance russe pour 2024, à 2,6%, contre 1,1% auparavant.
« Il est clair que l’économie russe se porte mieux que ce à quoi nous nous attendions », a reconnu auprès du Financial Times Pierre-Olivier Gourinchas, chef économiste de l’organisation de Washington.
Contournement des sanctions
Pour Sylvain Bersinger, chef économiste chez Asterès, « il y a eu une capacité probablement plus grande qu’attendu à contourner les sanctions occidentales ». L’économiste rappelle notamment que la Russie a continué malgré les restrictions de commercer avec les pays occidentaux en passant par des pays tiers, en particulier pour importer des biens dont elle avait besoin comme les composants électroniques.
Ses exportations d’hydrocarbures ont également résisté. D’un côté, grâce à la flambée des prix du gaz qui a en partie compensé la baisse des exportations en volume. De l’autre, grâce à l’accroissement des échanges de pétrole avec des pays comme la Chine, l’Inde ou la Turquie pour contrebalancer la chute de la demande européenne. Résultat: « en août 2023, les recettes pétrolières regagnaient presque leurs niveaux de 2022 », souligne dans un récent rapport Vladislav Inozemtsev, économiste russe en exil fondateur du Centre de recherches sur la société postindustrielle.
D’après lui, « les sanctions financières elles-mêmes n’ont eu qu’un impact limité sur l’économie russe » alors que « le montant des actifs gelés de la Banque centrale (…) était comparable à l’excédent commercial de la Russie pour 2022 (300 milliards de dollars) »., Si bien qu’au final, l’économie russe « a survécu, dès lors que la tentative visant à la dissocier des marchés internationaux a échoué », car « fondée sur l’hypothèse irréaliste selon laquelle quelques puissances seulement pourraient imposer des sanctions universelles à une grande économie ».
Inflation et désindustrialisation
Si elle a évité le scénario du pire, l’économie russe n’est pas pour autant sortie indemne des derniers mois. D’après Asterès, le PIB du pays en 2025 serait 3,8% inférieur à ce qu’il serait si la guerre n’avait pas eu lieu. Surtout, la Russie fait face à une inflation persistante (7,4% en janvier) qui risque de pénaliser durablement les consommateurs et les entreprises.
Affaiblissement du rouble, pénuries de main-d’œuvre provoquées par l’émigration massive après l’annonce de la mobilisation, difficultés d’approvisionnement dans certains magasins en raison des sanctions occidentales… Autant de facteurs qui ont tiré les prix vers le haut. Il y a quelques jours, la banque centrale a annoncé maintenir son taux directeur à 16% pour tenter de faire ralentir l’inflation qu’elle peine pour l’heure à juguler. Vladimir Poutine a lui-même demandé au gouvernement d’accorder « une attention particulière » à « la maîtrise » de l’inflation alors que les ménages russes voient leur pouvoir d’achat s’éroder au fil des mois.
Malgré les efforts déployés, la BCR a prévenu qu' »à moyen terme, les risques d’inflation restent orientés à la hausse », ce qui la contraint à « maintenir des conditions monétaires restrictives (…) pendant une longue période ».
Au-delà de l’inflation, l’économie russe montre d’autres signes d’affaiblissement: « Des pans entiers de l’industrie russe se sont contractés », relève Sylvain Bersinger. L’économie russe « montre des signes manifestes de désindustrialisation, alors même que l’effondrement de presque tous les projets de ‘substitution aux importations’ apparaît évident », abonde Vladislav Inozemtsev, estimant que « la Chine devient la source unique pour approvisionner le pays en éléments de haute technologie ou pour redynamiser ses infrastructures industrielles ».
Une économie dopée aux dépenses militaires
La Russie semble en effet avoir basculé vers un nouveau modèle économique que Vladislav Inozemtsev qualifie de « capitalisme de guerre ». Il se caractérise par la dédollarisation du commerce extérieur, des subventions à certains secteurs, l’orientation des relations économiques vers la Chine, mais surtout par une hausse considérable des dépenses d’armement -au détriment de la production et des dépenses publiques d’autres secteurs (automobile, recherche scientifique, éducation…).
Cette forte augmentation des dépenses militaires explique en grande partie la robustesse de la croissance russe et entretient l’inflation. D’après Asterès, le budget militaire du pays devrait avoir triplé entre 2021 et 2024, ce qui représente « une stimulation budgétaire de l’économie russe d’environ 4% du PIB » et conduit à une « surchauffe » de l’économie russe, selon Sylvain Bersinger, alors que la Douma a voté une hausse des dépenses militaires de 70% cette année. « La croissance russe, dopée à la dépense publique, chuterait probablement si les dépenses militaires venaient à être réduites », estime-t-il encore.
L’économiste affirme que cette situation « n’est pas très saine ». Si la résilience de l’économie russe repose désormais essentiellement sur dépense publique militaire, cela ne peut être tenable qu’à court terme « mais pas sur la durée ». Sur la même ligne, Vladislav Inozemtsev assure, lui, que l’économie russe n’a « aucune chance » dans ces conditions « de se développer dans les années à venir ». « La question la plus importante est ici de savoir quand et comment cette tendance deviendra assez visible pour l’opinion publique ».
Mi-février, la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, avait tenu des propos similaires. En dépit de dépenses militaires élevées qui boostent la production industrielle, la cheffe de l’institution de Washington s’attend à voir l’économie russe connaître des temps difficiles en raison de « l’exode » déclenché par la guerre et le « manque d’accès à la technologie » qui mettront l’activité sous pression. Pour elle, l’économie de la Russie ressemble désormais à celle de l’Union soviétique, avec « un niveau élevé de production » portée par les dépenses militaires « et un faible niveau de consommation ».
[ad_2]
Source link