[ad_1]
Sur la table, des cartes éparses aux noms étranges ont été disposées : « intégrité », « solidarité », « discernement »… Les participantes s’approchent avec prudence et piochent quelques bristols censés les définir.
La pluie en a arrêté plus d’une, mais les plus vaillantes sont venues, bien décidées à s’impliquer dans cet atelier organisé par le Crédit municipal de Paris. Une activité gratuite, ouverte à toutes, proposée aux femmes qui veulent se réapproprier leur budget. Et, par extension, leur parcours de vie en toute autonomie.
« Nous accompagnons individuellement la personne qui souhaite avoir des conseils, du soutien pour tout ce qui tourne autour de l’argent et nous pouvons la suivre sur plusieurs années », détaille Nadia Chekkouri, directrice adjointe de l’accompagnement budgétaire au Crédit municipal de Paris, connu pour son célèbre prêt sur gages.
Depuis peu, l’économie est devenue un sujet féministe majeur. De nombreux livres recueillent un succès inattendu : le Genre du capital, le Prix à payer , le Couple et l’argent… Des podcasts spécifiques à destination du public féminin se multiplient : se sentir légitime pour négocier un salaire, défendre un héritage paritaire au sein de la fratrie, récupérer son indépendance économique pour quitter un foyer toxique… Et avant tout, oser parler d’argent.
« Tout passe par le budget »
Avant même que ne commence l’atelier, les langues se délient et évoquent très vite des expériences intimes en toute confiance. Une jeune femme risque une expulsion alors qu’elle essaie de terminer son master tout en aidant financièrement sa mère. Sous l’emprise de son conjoint, cette autre femme a dilapidé ses biens.
Martine, quant à elle, a perdu son mari il y a huit ans, mais sa voix tremble encore quand elle l’évoque. Au même moment, elle est devenue retraitée. Elle ne s’était jamais occupée des comptes du ménage et a tout laissé filer. Aujourd’hui, à presque 70 ans, elle ose enfin affronter ses dettes, son changement de statut et respire peu à peu.
« Vous avez eu besoin de temps, de lâcher prise. Vous êtes prête maintenant », la rassure Laura Testoni, juriste de formation avant de devenir coach en finances personnelles. « J’étais dans le déni, confirme Martine. Je me sentais complètement perdue. Or, tout passe par le budget. Je réalise aujourd’hui que si j’avais été accompagnée, ça aurait pu se passer autrement. Je n’ai plus les mêmes rentrées d’argent, et je découvre les charges locatives que nous payions avec deux revenus. Je suis seule maintenant. »
« On n’apprend pas à l’école à gérer un compte en banque. » Une infirmière à la retraite
À ses côtés, R. pétrit dans ses mains la carte du « courage ». Elle s’explique : « Je n’ai pas pu me concentrer sur mes études et j’ai raté ma première année. J’ai dû me battre à distance pour éviter un mariage forcé. Mes parents m’aiment bien mais ils subissent aussi le poids d’appartenir à une grande famille. Un homme de notre ethnie voulait me marier. Mais moi, je ne vois pas la vie comme ça. Je voudrais d’abord être stable, prendre soin de mes parents, et ensuite fonder une famille. »
La jeune femme vient enfin de valider son diplôme, après avoir cumulé de petits emplois pour financer les médicaments de sa mère, diabétique, restée au pays. Après cinq mois de chômage et 25 kg en moins, elle a réussi à créer un petit business de galettes qu’elle vend sur les marchés. « Maintenant j’ai trouvé un contrat en alternance après avoir validé mon master 2. Je me sens confiante et heureuse », lance-t-elle en brandissant deux nouvelles cartes.
Maîtriser un budget exsangue
« Quand on parle d’argent, on parle de notre histoire de vie, rappelle Nadia Chekkouri. Il est important de pouvoir dire les choses pour se faire aider. L’argent est le socle sur lequel on va se poser, retrouver la paix. Les fortes valeurs de solidarité familiale, la dimension culturelle entraînent des attitudes différentes face à ces questions. C’est normal mais il faut en avoir conscience. »
Tout en écoutant les récits, l’intervenante s’appuie sur des photos symboliques pour vulgariser certains concepts, des graphiques, des livres. « Je suis d’origines antillaise et africaine, et notre rapport à l’argent n’a rien à voir avec ici », complète une nouvelle arrivée. Cette infirmière à la retraite a repris le travail de nuit en raison de l’inflation.
Elle est venue ici chercher des conseils pour gérer un budget exsangue : « On n’apprend pas à l’école à gérer un compte en banque. » Or, les difficultés financières proviennent d’un contexte conjoncturel ou structurel. L’identifier permet de l’appréhender : comprendre ce qui relève de l’automatisme, du mimétisme.
Ces femmes apprennent à questionner leur rapport à l’argent, l’affect qu’elles y portent inconsciemment. Certaines n’osent pas dire non à un ami, aux enfants, aux parents, tout en se mettant en danger. La consommation statutaire, celle que l’on s’impose pour ressembler à un groupe social, parle à beaucoup, comme Maryam, qui aujourd’hui essaie de transmettre à son fils comment maîtriser ses finances plutôt que « tout dépenser dans les marques ».
Près de la sortie, une affiche attire le regard des femmes quittant l’atelier, sourire aux lèvres. L’actrice Sarah Bernhardt semble les encourager du haut de sa carrière magistrale. Elle aussi était une habituée du prêt sur gages.
[ad_2]
Source link