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La rue Graiova, à Nanterre est déserte ce 29 juin, en fin de soirée quand Virgile s’y engage. Il vient de quitter des amis pour aller à la recherche d’une boutique encore ouverte où acheter à manger pour tout le monde. Après avoir marché quelques mètres le jeune normand aperçoit au bout de la rue une patrouille de trois ou quatre policiers, armés et casqués qui s’avance. « Je ne les regarde pas spécialement, je continue mon chemin tranquillement. Je m’apprête à les saluer quand on va se croiser », explique-t-il. Le jeune homme n’est pas spécialement inquiet même s’il sait par expérience que sa couleur de peau joue en sa défaveur aux yeux des forces de l’ordre : « quand je circule en voiture en région parisienne, je me fais systématiquement arrêter. Si je me promène en jogging, il est rare que j’échappe à un contrôle d’identité… Mais comme je ne commets pas d’infraction, que je fais profil bas quels que soient les propos ou les provocations que j’entends, je ne leur donne pas l’occasion de faire dégénérer la situation. En plus quand les policiers constatent que je suis militaire (Virgile vient de passer trois ans chez les Chasseurs Alpins), ils se radoucissent. » Pas cette fois. Alors qu’il avance dans leur direction, l’un des policiers, situés à une quinzaine de mètres de distance, l’invective : « Hé toi, casse-toi ! » Virgile s’arrête, relève la tête en direction des agents. « La dernière image enregistrée par mon œil gauche est celle du point lumineux du LBD avec lequel le policier me visait. »
Une vie qui bascule
Dix jours plus tard, nous retrouvons le jeune homme a la terrasse d’un café parisien, entouré de sa mère, sa grande sœur et sa petite amie. Des compresses blanches et une coque de plastique masquent son œil gauche. Entre un rendez-vous avec son avocat, Me Arié Alimi et un autre avec un chirurgien maxillo-facial, Virgile, malgré la fatigue et des maux de tête persistants, a accepté de revenir en détails sur la soirée où, en trois secondes, sa vie a basculé. D’une voix calme, il dit le choc de l’impact qui lui emporte une moitié de visage, la quasi-certitude immédiate qu’il a perdu son œil, le sang qui coule abondamment…. Et son réflexe de survie, sans doute dû à son excellente condition physique et à sa pratique à haut niveau des arts martiaux. « Je me suis dit que si je restais là, j’étais mort… Alors tandis que je vacillais, ma main a touché le sol. Plutôt que de me laisser tomber, j’ai pris une impulsion pour me relever et j’ai commencé à courir. Les policiers ne m’ont pas suivi. »
Perdant beaucoup de sang, Virgile cherche en vain pendant plusieurs minutes quelqu’un qui pourrait lui porter secours. Il n’y a personne. « Quand j’ai enfin croisé un jeune homme, je lui ai tout de suite demandé si j’avais encore mon œil. Il n’a pas répondu mais à son expression j’ai compris que ma tête faisait peur. Je me suis assis par terre et j’ai perdu connaissance ». Quand Virgile retrouve ses esprits il est sur un scooter en sandwich entre deux jeunes d’une vingtaine d’année. Faute de pouvoir joindre les secours ils ont décidé de le conduire à l’hôpital le plus proche. « J’avais très froid. Toutes les rues étaient barrées par la police qui refusait de nous laisser passer malgré mon état. »On s’en bat les couilles, cassez-vous !« : à chaque fois c’était la même réponse ! Mais les deux jeunes ne m’ont pas lâché. En prenant beaucoup de risques et de chemins de traverse ils ont réussi à me déposer aux urgences de Colombes. » Quand il parle de ses deux anges gardien, dont il a perdu la trace, Virgile est très ému. « Tout ce que je sais c’est qu’ils ont une vingtaine d’année et sont d’origine maghrébine. Ils m’ont sans doute sauvé la vie… »
Séquelles irréversibles
En effet, à son arrivée aux urgences le personnel médical a tout de suite pris sa situation très au sérieux. « Q uand j’ai enlevé ma main de la partie gauche de mon visage, ils se sont tous affolés. Personne ne me parlait, ils n’osaient pas me confirmer que mon œil était perdu. On m’a donné les premiers soins puis transféré dans le service ophtalmologique de l’hôpital Cochin, à Paris, où j’ai été opéré. » Hélas, l’œil du jeune homme n’a pu être sauvé et ses séquelles lui valent une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à 45 jours. Le rapport de l’unité médico-légale (que l’Humanité a pu consulter) indique notamment une plaie du globe de l’œil gauche post traumatique par flashball, une abolition de l’acuité visuelle, des fractures du toit de l’orbite de l’arcade, de la paroi latérale de l’orbite et de l’arcade zygomatique, ainsi qu’une surdité partielle à gauche.
Encore très fatigué, Virgile sait qu’à 24 ans, il va lui falloir apprendre à vivre avec un handicap, à affronter le regard des autres sur un visage qui n’est plus vraiment le sien. Et se réinventer un avenir professionnel. « Après l’armée, je m’apprêtais à entrer dans une école de MMA (mixed martial arts) afin de devenir professionnel. En parallèle je voulais me former en tant que chauffeur VTC pour gagner un peu d’argent. Je dois aujourd’hui renoncer à ces deux projets. » Il refuse néanmoins de se laisser envahir par la colère : « Je n’ai pas de haine contre la police. Il faudrait cependant que tous ceux qui portent une arme aient conscience que quand on presse une détente, quelque chose d’irréversible peut se produire. Aujourd’hui je veux juste que l’on retrouve celui qui m’a tiré dessus, sans sommation, sans raison, en visant la tête, et qu’il soit jugé. »
Plainte et appel à témoins
Une plainte contre X a été déposée, et une enquête ouverte par l’IGPN. « Nous avons lancé un appel à témoins au cas où des personnes auraient filmé la scène ou auraient vu quelque chose ce soir-là » , indique Mélissa la sœur de Virgile. Engagée de longue date auprès de collectifs de lutte contre le racisme et les violences policière, la jeune femme avoue n’avoir jamais imaginé que « ça puisse arriver à (son) frère » . Elle aussi garde la tête froide : « Je sais qu’il va se reconstruire, que sa vie ne se résumera pas à ce drame. Mais on va se battre pour que cela n’arrive pas à d’autres. » Puisse Virgile être le dernier auquel la vie et les rêves ont été volés au nom d’une guerre insidieuse de la police contre une partie de la population.
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